L’Esprit Public, une émission privatisée sur France Culture
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Chaque dimanche de onze heures à midi, Émilie Aubry anime « L’Esprit Public » sur France Culture, présentée comme une « mise en perspective de l’actualité politique au cours d’un débat d’intellectuels engagés ». La page de l’émission avertit ses auditeurs : ceux-ci doivent s’attendre à de la « polémique », et même de l’« impertinence ».
Les sujets traités, en général deux par émission, sont extrêmement variés. Ainsi, parmi les thématiques abordées, on compte entre-autres la situation des migrants, la réforme de l’université, l’évasion fiscale, le féminisme, la France-Afrique, le Brexit… On s’attendrait donc à ce que la diversité des profils des invités - au nombre de trois à quatre par émission - corresponde à celle des questions abordées, ne serait-ce parce qu’il est difficilement concevable qu’un seul et même « intellectuel engagé », aussi brillant soit-il, soit le plus pertinent pour s’exprimer sur tous ces sujets à la fois.
La réalité est bien différente. Ainsi, seize personnes ont monopolisé à elles seules la totalité des invitations (110) aux 29 émissions enregistrées entre le 1er octobre 2017 et le 13 mai 2018. Pire que cela, cinq invités se sont accaparés la moitié (54) de ces invitations. Ainsi, Thierry Pech, invité douze fois sur la période, s’est exprimé sur des sujets comme la « diplomatie », les « banlieues », la Syrie, l’Université, le terrorisme, la Libye, l’affaire Ramadan, la Corse, le socialisme, les réfugiés, Vladimir Poutine, ou encore le climat.
La poignée d’invités convoqués sur tous ces sujets ne pouvant se prévaloir d’une « expertise » aussi large, la « mise en perspective de l’actualité politique » ressemble davantage à un exposé de lieux communs, et le « débat d’intellectuels engagés » à des bavardages. Une tranche d’une heure sur le service public, privatisée par quelques habitués pour converser tranquillement.
Quid de la « polémique » et de l’« impertinence » promises ? Là encore, les chiffres sont éclairants. La moitié des invités a des liens partisans directs (membres ou soutiens publics de partis politiques, candidats sous étiquette, participations à des gouvernements). En regroupant les invitations par affiliation partisane, on constate que 60 % d’entre-elles ont été accordées à des personnalités ayant des liens directs avec Les Républicains, le Parti Socialiste ou En Marche, des partis au fort dénominateur commun idéologique néolibéral. Sans compter les invités sans lien partisan direct, mais ouvertement libéraux, comme Monique Canto Sperber ou encore Philippe Manière.
Dans ces circonstances, non seulement l’émission est monopolisée par un petit club restreint, mais en plus celui-ci manque cruellement de pluralisme : des intellectuels engagés, oui… mais dans la même direction. Finalement, le hasard fait bien les choses : l’emplacement de l’émission dans la grille des programmes de France Culture correspond tout-à-fait à son ton de conversations de déjeuners dominicaux en bonne famille. Au risque d’une légère contradiction avec la mission de service public de la station.